Tuesday, September 13, 2011

An impeccable disaster

by Paul Krugman
in The new York Times
11/09/2011

On Thursday Jean-Claude Trichet, the president of the European Central Bank or E.C.B. — Europe’s equivalent to Ben Bernanke — lost his sang-froid. In response to a question about whether the E.C.B. is becoming a “bad bank” thanks to its purchases of troubled nations’ debt, Mr. Trichet, his voice rising, insisted that his institution has performed “impeccably, impeccably!” as a guardian of price stability.

Indeed it has. And that’s why the euro is now at risk of collapse.

Financial turmoil in Europe is no longer a problem of small, peripheral economies like Greece. What’s under way right now is a full-scale market run on the much larger economies of Spain and Italy. At this point countries in crisis account for about a third of the euro area’s G.D.P., so the common European currency itself is under existential threat.

And all indications are that European leaders are unwilling even to acknowledge the nature of that threat, let alone deal with it effectively.

I’ve complained a lot about the “fiscalization” of economic discourse here in America, the way in which a premature focus on budget deficits turned Washington’s attention away from the ongoing jobs disaster. But we’re not unique in that respect, and in fact the Europeans have been much, much worse.

Listen to many European leaders — especially, but by no means only, the Germans — and you’d think that their continent’s troubles are a simple morality tale of debt and punishment: Governments borrowed too much, now they’re paying the price, and fiscal austerity is the only answer.

Yet this story applies, if at all, to Greece and nobody else. Spain in particular had a budget surplus and low debt before the 2008 financial crisis; its fiscal record, one might say, was impeccable. And while it was hit hard by the collapse of its housing boom, it’s still a relatively low-debt country, and it’s hard to make the case that the underlying fiscal condition of Spain’s government is worse than that of, say, Britain’s government.

So why is Spain — along with Italy, which has higher debt but smaller deficits — in so much trouble? The answer is that these countries are facing something very much like a bank run, except that the run is on their governments rather than, or more accurately as well as, their financial institutions.

Here’s how such a run works: Investors, for whatever reason, fear that a country will default on its debt. This makes them unwilling to buy the country’s bonds, or at least not unless offered a very high interest rate. And the fact that the country must roll its debt over at high interest rates worsens its fiscal prospects, making default more likely, so that the crisis of confidence becomes a self-fulfilling prophecy. And as it does, it becomes a banking crisis as well, since a country’s banks are normally heavily invested in government debt.

Now, a country with its own currency, like Britain, can short-circuit this process: if necessary, the Bank of England can step in to buy government debt with newly created money. This might lead to inflation (although even that is doubtful when the economy is depressed), but inflation poses a much smaller threat to investors than outright default. Spain and Italy, however, have adopted the euro and no longer have their own currencies. As a result, the threat of a self-fulfilling crisis is very real — and interest rates on Spanish and Italian debt are more than twice the rate on British debt.

Which brings us back to the impeccable E.C.B.

What Mr. Trichet and his colleagues should be doing right now is buying up Spanish and Italian debt — that is, doing what these countries would be doing for themselves if they still had their own currencies. In fact, the E.C.B. started doing just that a few weeks ago, and produced a temporary respite for those nations. But the E.C.B. immediately found itself under severe pressure from the moralizers, who hate the idea of letting countries off the hook for their alleged fiscal sins. And the perception that the moralizers will block any further rescue actions has set off a renewed market panic.

Adding to the problem is the E.C.B.’s obsession with maintaining its “impeccable” record on price stability: at a time when Europe desperately needs a strong recovery, and modest inflation would actually be helpful, the bank has instead been tightening money, trying to head off inflation risks that exist only in its imagination.

And now it’s all coming to a head. We’re not talking about a crisis that will unfold over a year or two; this thing could come apart in a matter of days. And if it does, the whole world will suffer.

So will the E.C.B. do what needs to be done — lend freely and cut rates? Or will European leaders remain too focused on punishing debtors to save themselves? The whole world is watching.



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Une impeccable catastrophe

by Paul Krugman
in The new York Times
11/09/2011

Jeudi, Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, ou BCE, l'homologue européen de Ben Bernanke, a perdu son sang-froid. En réponse à un journaliste qui lui demandait si la BCE était en train de devenir une "mauvaise banque" parce qu'elle avait acheté les dettes de pays en difficulté, M. Truchet, en haussant la voix, affirma que son institution avait réalisé de façon "impeccable, impeccable !" sa mission de garant de la stabilité des prix.
En effet. Et c'est pour cette raison que l'euro est maintenant menacée d'effondrement.

La tourmente financière européenne n'est plus seulement un problème pour les petites économies périphériques comme la Grèce : ce qui se passe aujourd'hui, c'est une ruée généralisée des marchés sur des économies beaucoup plus importantes comme l'Espagne et l'Italie. À ce jour, les pays en crise représentent environ un tiers du PIB de la zone euro, l'existence de la monnaie européenne elle-même est donc menacée.
Et tout porte à croire que les dirigeants européens ne sont pas disposés à ne serait-ce que reconnaître la nature de cette menace, et encore moins à y répondre efficacement.

Je me suis souvent plaint de la "budgétisation" du discours économique ici aux États-Unis, de la manière dont un accent prématuré sur les déficits budgétaires a détourné l'attention de Washington de la catastrophe de l'emploi en cours. Mais nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, et en fait les Européens vont beaucoup, beaucoup plus mal.

À écouter de nombreux dirigeants européens – surtout, mais certainement pas seulement, les Allemands – on pourrait croire que les problèmes de ce continent ne sont qu'une fable morale dont le thème serait la dette et sa punition : les gouvernements ont trop emprunté, maintenant ils en paient le prix, et la rigueur budgétaire est la seule réponse.

Or cette histoire ne s'applique qu'à la Grèce, et encore. L'Espagne en particulier avait un excédent budgétaire et une dette très faible avant la crise de 2008 : son passé budgétaire, si on peut dire, était impeccable. Et si elle fut durement frappée par l'effondrement de son essor immobilier, c'est toujours un pays dont la dette est relativement faible, et on peut difficilement défendre l'idée que l'état budgétaire sous-jacent du gouvernement espagnol est pire que celui, disons, du gouvernement britannique.

Alors pourquoi l'Espagne – avec l'Italie, dont la dette est plus élevée mais les déficits plus faibles – est-elle si menacée ? La réponse est que ces pays sont confrontés ce qui ressemble fort à une panique bancaire, sauf que la panique concerne leurs gouvernements plutôt que, ou plus précisément autant que, leurs institutions financières.

Voilà comment fonctionne une telle panique : les investisseurs, pour une raison ou pour une autre, craignent qu'un pays ne se retrouve en défaut de paiement de sa dette. Cela les rend peu disposés à acheter les obligations de ce pays, ou du moins tant que ce pays ne leur offre pas un taux d'intérêt très élevé. Et le fait que ce pays doive proposer sa dette à des taux d'intérêt élevés empire ses perspectives budgétaires, ce qui rend le défaut plus probable, de sorte que la crise de confiance devient une prophétie qui se réalise d'elle-même. Et ce faisant, elle devient une crise bancaire par la même occasion, vu que les banques du pays investissent généralement lourdement dans la dette publique.

Maintenant, un pays ayant sa propre monnaie, comme la Grande-Bretagne, peut court-circuiter ce processus : si nécessaire, la Banque d'Angleterre peut intervenir pour acheter une dette publique avec de l'argent nouvellement créé. Cela peut entraîner une inflation (bien que même cela soit peu probable quand l'économie est en berne), mais l'inflation représente une menace bien plus faible pour les investisseurs qu'un défaut de paiement pur et simple. Néanmoins, l'Espagne et l'Italie ont adopté l'euro, et n'ont plus leur propre monnaie. Par conséquent, la menace d'une crise auto-réalisatrice est tout à fait réelle – et les taux d'intérêt sur les dettes espagnole et italienne sont deux fois plus importants que les taux d'intérêt sur la dette britannique.

Ce qui nous ramène à l'impeccable BCE.

Ce que M. Trichet et ses collègues devraient être en train de faire est d'acheter les dettes espagnole et italienne – c'est-à-dire, ils devraient être en train de faire ce que ces pays feraient eux-mêmes s'ils avaient encore leurs propres monnaies. En fait, c'est exactement ce que la BCE avait commencé à faire il y a quelques semaines, entraînant un répit temporaire pour ces pays. Mais la BCE a immédiatement été confrontée à une sévère pression de la part des moralisateurs, qui détestent l'idée de laisser des pays s'en tirer à bon compte avec leurs soi-disant péchés budgétaires. Et l'idée que les moralisateurs vont bloquer tout nouveau sauvetage a ravivé la panique des marchés.

À ce problème s'ajoute l'obsession de la BCE de maintenir ses résultats « impeccables » en matière de stabilité des prix : à une époque où l'Europe a désespérément besoin d'une reprise solide, et où une inflation modeste serait vraiment utile, la banque a au contraire durci sa politique monétaire, en essayant de parer des risques d'inflation qui n'existent que dans son imagination.
Et maintenant la situation devient critique. On ne parle pas ici d'une crise qui se déroulera dans un an ou deux : ce pourrait être une question de jours avant que cette chose ne se produise. Et si c'est le cas, le monde entier en souffrira.

Alors la BCE va-t-elle faire ce qui doit être fait, c'est-à-dire prêter librement et baisser les taux ? Ou bien les dirigeants européens vont-ils continuer à vouloir punir les débiteurs pour s'en sortir ? Le monde entier retient son souffle.

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