Monday, September 16, 2013

" La liberté de l’esprit est le seul bien qui soit plus précieux que la paix. C’est que la paix, sans elle, n’est que servitude. "



André Comte-Sponville in "L'Esprit de l'athéisme - Introduction à une spiritualité sans Dieu", p.139-141 (Le Livre de Poche)

" Six arguments principaux m’amènent à ne pas croire en Dieu (pour les trois premiers), et même à croire qu’il n’existe pas (pour les trois suivants) : la faiblesse des arguments opposés (les prétendues « preuves » de l’existence de Dieu) ; l’expérience commune (si Dieu existait, cela devrait se voir ou se sentir davantage) ; mon refus d’expliquer ce que je ne comprends pas par quelque chose que je comprends encore moins ; la démesure du mal ; la médiocrité de l’homme ; enfin le fait que Dieu corresponde tellement bien à nos désirs qu’il y a tout lieu de penser qu’il a été inventé pour les satisfaire, au moins fantasmatiquement (ce qui fait de la religion une illusion, au sens freudien du terme). Qu’aucun de ces arguments, ni leur somme, ne vaille comme preuve, je l’annonçais dès le départ et j’en reste persuadé.

Dieu existe-t-il ? Nous ne le savons pas. Nous ne le saurons jamais, en tout cas dans cette vie. C’est pourquoi la question se pose d’y croire ou non. Le lecteur sait maintenant pourquoi, pour ma part, je n’y crois pas : d’abord parce qu’aucun argument ne prouve son existence ; ensuite parce qu’aucune expérience ne l’atteste ; enfin parce que je veux rester fidèle au mystère, face à l’être, à l’horreur et à la compassion, face au mal, à la miséricorde ou à l’humour, face à la médiocrité (si Dieu nous avait créés à son image et absolument libres, nous serions impardonnables), enfin à la lucidité, face à nos désirs et à nos illusions. Ce sont mes raisons, du moins celles qui me touchent ou me convainquent le plus. Il va de soi que je ne prétends les imposer à quiconque. Il me suffit de revendiquer le droit de les énoncer publiquement, et de les soumettre, comme il convient, à la discussion.

Qu’est-ce que le fanatisme ? C’est prendre sa foi pour un savoir, ou vouloir l’imposer par la force (les deux, presque toujours, vont de pair : dogmatisme et terrorisme se nourrissent l’un l’autre). Double faute : contre l’intelligence, et contre la liberté. A quoi il faut donc résister doublement : par la démocratie, par la lucidité. La liberté de conscience fait partie des droits de l’homme et des exigences de l’esprit.
La religion est un droit. L’irréligion aussi. Il faut donc les protéger l’une et l’autre (voire l’une contre l’autre, si c’est nécessaire), en leur interdisant à toutes deux de s’imposer par la force. C’est ce qu’on appelle la laïcité, et le plus précieux héritage des Lumières. On en redécouvre aujourd’hui la fragilité. Raison de plus pour le défendre, contre tout intégrisme, et pour le transmettre à nos enfants.

La liberté de l’esprit est le seul bien, peut-être, qui soit plus précieux que la paix. C’est que la paix, sans elle, n’est que servitude. "

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