Monday, July 18, 2011

Après la Grèce, les Etats-Unis ?

Par PIERRE LARROUTUROU Membre du conseil Europe Ecologie.



11/07/2011

Ben Bernanke n’en dort plus la nuit. Il a beau tourner le problème dans tous les sens, le président de la Banque centrale des Etats-Unis ne voit pas comment éviter la récession. Au premier trimestre, le PIB n’a augmenté que de 63 milliards alors que la dette publique a crû de 380 milliards en trois mois.



De plus en plus de dette pour de moins en moins de croissance. La première économie mondiale est comme une voiture qui a besoin d’un litre d’huile tous les 300 mètres. A tout moment, le moteur peut exploser. D’autant que la réserve d’huile est bientôt vide : comme les investisseurs se détournent des bons du Trésor émis par le gouvernement, la Banque centrale a dû créer 600 milliards de dollars ex nihilo pour acheter 85% des bons émis depuis huit mois ! Pour quel résultat ? En mai, la consommation des ménages a baissé pour le deuxième mois consécutif. Malgré des politiques budgétaire et monétaire exceptionnellement favorables, les Etats-Unis sont à deux doigts de la récession.
L’autre moteur de la croissance mondiale risque de caler lui aussi : en Chine, la bulle immobilière commence à se dégonfler. Cette bulle a atteint une taille double du maximum atteint aux Etats-Unis avant la crise des subprimes. Fin 2008, pour éviter la récession, le gouvernement chinois a demandé aux banques d’accepter toutes les demandes de crédit. En un an, on a injecté dans l’économie 44% du PIB (30% par le crédit privé et 14% par la dette publique). Partout, on a construit. Partout, il y a pléthore d’immeubles vides. En quelques semaines, le marché peut passer de l’euphorie à la panique. En avril déjà, les prix de l’immobilier ont baissé de 5%. C’est la première baisse en vingt ans. On a vu en Espagne ce que donne l’éclatement d’une telle bulle : le chômage a triplé en trois ans. Que va-t-il se passer en Chine, où il y a déjà 20% de chômage et des émeutes sociales de plus en plus violentes ?
Bernanke n’en dort plus la nuit. Hier, il a vu les images des manifestations en Grèce. Les Etats Unis connaîtront-ils bientôt de telles émeutes ? Le déficit de la Grèce est de 10 % du PIB. Celui des Etats-Unis atteint 11%. Comment a-t-on pu en arriver là ? En 2008, quand Lehman Brothers est tombé, tous les dirigeants de la planète affirmaient que nous vivions une crise historique et qu’il fallait inventer un nouveau modèle de développement. Trois ans plus tard, rien n’a changé. Joseph Stiglitz a raison : «On s’est contentés de déplacer les fauteuils sur le pont du Titanic.»
Que faire ? Continuer les plans de relance jusqu’à être écrasés par le poids de la dette ou stopper ces plans et retomber en récession ? La peste ou le choléra ? Comment sortir de ce dilemme ? Pourquoi tous nos pays sont-ils devenus dépendants à la dette ? C’est en analysant les statistiques de la Réserve fédérale pour les soixante dernières années qu’on comprend les causes profondes de cette addiction. Jusqu’en 1981, le ratio américain dette/PIB était parfaitement stable (1). Des règles collectives assuraient une progression régulière des salaires et un partage équitable entre salariés et actionnaires. Ce compromis fordiste a permis trente ans de stabilité. Sans dette. Mais, en 1981, Ronald Reagan arrive à la Maison Blanche. Il baisse les impôts des plus riches, ce qui augmente la dette publique. Celle-ci croît surtout parce que, dans un contexte de gains de productivité élevés, les politiques de dérégulation amènent à une précarité très grande. C’est à partir de là que des millions d’Américains s’endettent pour maintenir leur niveau de vie.
«Si tu n’es pas content, tu peux aller voir ailleurs.» Dans un contexte de chômage de masse, quel salarié peut négocier une augmentation de salaire ? Pour les quinze pays les plus riches de l’OCDE, la part des salaires qui représentait 67% du PIB en 1982 n’en représente plus que 57% aujourd’hui. Pendant des années, l’économie n’a continué à croître que parce qu’on distribuait par la dette le pouvoir d’achat qu’on ne donnait pas en salaire. «Sans la hausse de la dette des ménages, la croissance serait nulle en zone euro depuis 2002», explique l’économiste Patrick Artus. En poussant les ménages à s’endetter, on a retardé la récession, mais la fuite en avant a des limites.
Les racines de la crise financière, c’est trente ans de crise sociale. C’est à cause du chômage, des petits boulots et des petits salaires que nos économies ont besoin de toujours plus de dette. Le chômage n’est pas seulement une conséquence de la crise. Il en est une des causes premières. Pour sortir de notre dépendance à la dette, il faut s’attaquer de front au chômage. N’en déplaise aux néolibéraux, la justice sociale n’est pas un luxe auquel il faudrait renoncer à cause de la crise. Reconstruire la justice sociale est aujourd’hui la priorité absolue, le seul moyen de sortir de notre dépendance à la dette. Le seul moyen d’éviter un effondrement de nos économies.

Cf la courbe sur http://www.lekairos.fr/ Auteur de «Pour éviter le krach ultime».

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