Sunday, July 24, 2011

«Anders Breivik est un nouvel avatar du terrorisme global»

in Le Figaro
24/07/2011

INTERVIEW - Selon l'islamologue Mathieu Guidère, le tueur d'Oslo appartient à une mouvance islamophobe née en réaction aux attentats du 11 septembre 2001.

Auteur notamment des Nouveaux Terroristes (Éd. Autrement), Mathieu Guidère juge que le tueur d'Oslo a fait «sauter un verrou psychologique» et craint qu'il ne fasse des «émules».



LE FIGARO. - Anders Breivik est-il un déséquilibré, un illuminé?

Mathieu GUIDÈRE. - Ni l'un ni l'autre. Il appartient à la famille des terroristes solitaires, des individus qui se comportent comme le commun des mortels, mais qui ont une perception du monde différente. Je n'exclus pas qu'il ait bénéficié de complicités, que quelqu'un sympathisant avec ses idées lui ait donné un coup de main par exemple en faisant le gué. Mais son profil évoque plutôt celui d'un terroriste solitaire, c'est-à-dire qu'il a vraisemblablement imaginé, planifié et exécuté quasiment seul ce double attentat. Et Internet a joué un rôle clé en lui permettant de bricoler une idéologie supposée légitimer son action.

Faut-il le comparer à Timothy McVeigh, l'auteur de l'attentat d'Oklahoma City?

Oui et non. McVeigh était convaincu qu'il était un bon citoyen américain et que l'État ne défendait pas les valeurs de l'Amérique. Il avait même envisagé à plusieurs reprises d'assassiner le président des États-Unis. L'attentat d'Oklahoma City était une action antigouvernementale mûrement préparée. C'est le trait commun avec Breivik, qui a préparé lui aussi pendant environ deux ans son action et qui pensait que les dirigeants norvégiens n'étaient pas dignes de gouverner. Comme Anders Breivik, McVeigh les a délégitimés pour justifier son acte. Mais il n'avait aucune prétention religieuse.

Ce qui n'est pas le casde Breivik?

Breivik représente, selon moi, un nouvel avatar du terrorisme global, celui du fondamentalisme chrétien né en réaction aux attaques du 11 septembre 2001. À l'anti-gouvernementalisme s'ajoutent deux autres thématiques phares: l'islamophobie et la haine du multiculturalisme, perçu comme l'arme des islamistes pour envahir l'Europe.

Les années Bush ont mis le paradigme médiéval à la mode, c'est-à-dire qu'elles ont privilégié une approche religieuse et dichotomique du monde, une logique conflictuelle: la civilisation musulmane contre la civilisation chrétienne. Sauf que le fondamentalisme chrétien est le pendant du fondamentalisme islamiste. Les uns et les autres affichent la même terminologie, les mêmes concepts, les mêmes référents historiques, en l'occurrence l'époque des croisades. Les islamistes disent que les pays musulmans sont envahis par les chrétiens qui pillent leurs pays. Ils fustigent ces nouveaux «croisés». Les fondamentalistes chrétiens parlent eux aussi d'«invasion» et d'«islamisation» de l'Europe. Breivik s'est d'ailleurs qualifié de «templier». Il n'a pas choisi sa cible au hasard.

Pour ces fondamentalistes chrétiens, la social-démocratie est l'héritière des communistes, c'est-à-dire l'ennemi intérieur qui défend une idéologie antinationale en acceptant notamment l'immigration. Eux se considèrent comme des nationalistes, c'est-à-dire comme des citoyens aimant la nation et ayant le devoir de réagir. Leur slogan, c'est: «force, honneur et sacrifice». Ils se posent en résistants, en révolutionnaires, tout comme les islamistes!

Peut-on prévenir ce «terrorisme solitaire»?

La Norvège est un cas d'école. On pouvait imaginer ce type d'attentat un peu partout en Europe sauf en Norvège. Ce pays jouit d'une rente pétrolière considérable, il y a très peu d'immigration, un taux de chômage très bas, un système de protection sociale excellent, le niveau de vie est élevé, la société ouverte… Donc, le problème ne vient pas de la réalité, mais de la perception que certains individus ont de l'islam, de l'immigration, de la menace terroriste. Il y a un décalage entre la réalité perçue par certains citoyens et le discours tenu par les élites. D'un côté, une analyse assez basique, de l'autre, une vision stratégique. Aussi longtemps que ce clivage perdurera, ce type d'attentats risque de se développer.

Le mouvement djihadiste est longtemps resté souterrain, invisible jusqu'à l'arrivée d'al-Qaida. Anders Breivik, à sa manière, a fait sauter un verrou psychologique en s'attaquant qui plus est à ses concitoyens. On ne peut exclure qu'il fasse des émules. Tout dépendra du traitement politique et médiatique que l'on fera de ces attentats. Si l'on conforte le paradigme médiéval, c'est-à-dire cette analyse religieuse et dichotomique du monde, certainement ce serait dramatique.

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