Sunday, March 18, 2012

Nos enfants de la patrie

Auteur : Paul Hermant
Source : rtbf.be
Jeudi 15 mars 2012

Jean-Pierre Stroobants est le correspondant du quotidien français " Le Monde " en Belgique. Il n’y est pas en terre inconnue, il est belge. Nous qui le sommes comme lui prenons souvent plaisir et étonnement à lire ce qu’il pense de nous, c’est-à-dire de lui.

Car on dirait bien que, de temps à autre, il va débusquer là ou, parfois, nous nous empêchons de regarder. Il est bon, quelquefois, d’être étranger dans son propre pays.

Depuis ce matin, une mise en cause parcourt le Net. Dans son dernier article, publié sur le site du Monde, Jean-Pierre Stroobants est accusé d’avoir tracé une diagonale insensée entre l’affaire Dutroux et l’accident de Sierre en passant par les affaires de pédophilies dans l’Eglise. D’avoir évoqué donc ce que la Belgique fait ou ne fait pas de ses enfants.
Je vous lis l’un des passages de cet article stigmatisé aussi — et c’est chose plutôt rare— par des collègues et des confrères ouvrant sur leurs sites la controverse, qualifiant de grotesques les propos du journaliste et invitant même les lecteurs à voter sur le thème " Etes-vous choqué par l’article du Monde ? " . Voici donc.

" Sidérée par le bilan de l'accident, la population est d'autant plus impressionnée qu'une grande majorité d'enfants figurent parmi les victimes. Après les terribles révélations, consignées dans un rapport officiel, sur les actes de pédophilie commis au sein de l'Eglise catholique durant des décennies mais, surtout, depuis l'affaire Marc Dutroux, les Belges ont une sensibilité à fleur de peau. "

On a lu cela aussi, au moins deux fois, et on va le dire tout net, on s’étonne de la polémique naissante et de l’animosité ambiante. Car ce n’est pas faire mentir les faits, ni les tordre, ni les interpréter, que d’observer et de signaler que le vrai chagrin des Belges concerne leurs enfants. Il n’y a rien à faire : on pourra faire toutes les réformes institutionnelles que l’on voudra pour maintenir un peu de ceci ou contenir un peu de cela, ce n’est pas l’union qui fait la force, ce sont les enfants qui font l’union.

Et les insultes qu’a récoltées mon confrère Stroobants sur les réseaux sociaux et les forums des journaux ne le disaient que plus fort encore : les enfants perdus, les enfants —au sens strict— disparus figurent cette sorte de traumatisme qui est aussi notre catharsis. Le seul enjeu capable de nous mobiliser, de nous rendre tous ensemble, comme nous disions hier. Etait-ce donc si grotesque de l’écrire ?

On le rappelait pourtant encore tout à l’heure au Forum de Midi : c’était Marc Liedts, je crois, qui signalait que sans l’affaire Dutroux, dont nous avions appris, les réactions politiques auraient sans doute été moins empathiques, moins immédiates aussi.

Et sur le site de cette maison, sous ma chronique d’hier, une auditrice commençait tout à l’heure ce commentaire par : " Depuis l’affaire Dutroux, je considère un peu tous les enfants comme les miens … ".

Pourquoi donc un pays se rappelle-t-il qu’il est un pays lorsqu’il perd ses enfants ? C’est cette question, et pas une autre, que posait en creux l’article du Monde. Et c’est d'ailleurs cela aussi que dit cette journée de deuil national de demain.

Et moi, hier, je terminais ma chronique par cette question : " C’était quand exactement la dernière fois qu’un bonheur nous a rassemblés ? " Hé bien, je la repose. Allez, belle soirée et puis aussi bonne chance.



Paul Hermant

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