Tuesday, August 9, 2011

Le fil conducteur des krachs

Par Bruno Colmant,
Le 08/08/2011

Lors des krachs, le monde doit surmonter tant d’angoisses, car les éclatements de bulles boursières suscitent des traumatismes collectifs. Les crises financières ramènent à des peurs existentielles portant sur le système économique. Elles suscitent un sentiment de dépression, au contraire des périodes d’enchantement financier, au cours desquelles les hommes sont plus crédules parce que plus euphoriques.

Les krachs servent de charnière à des contextes socio-économiques différents et surviennent en anticipation de transitions majeures. Ils correspondent chaque fois à une accélération de la mobilité d’un des trois facteurs de production, à savoir le travail, le capital et l’information. Par exemple, chaque crise boursière coïncide avec la popularisation d’un média de communication, accélérant la vitesse de circulation des données : le téléphone (crises de 1893 et de 1907), la radio (crise de 1929), la télévision et l’informatique (abattement boursier des années septante et quatre-vingts) et l’Internet (crises de 2000 et de 2008)

Les krachs s’assimilent donc au passage à une vitesse supérieure de l’économie. C’est ce qui nous conduit à penser que la crise actuelle ne va en aucune manière ralentir le rythme de la conjoncture. Elle va probablement l’accélérer par une immersion dans les réseaux de l’économie de marché. Examinons les quatre dernières grandes perturbations boursières.

La crise de 1893-1897, répliquée lors de la panique bancaire de 1907, a coïncidé avec la première bancarisation de l’économie. A cette époque, le secteur financier se développe afin de répondre aux besoins de la révolution industrielle et du démarrage de la production en masse des biens de consommation. Mais ce krach correspond surtout à la naissance des moyens de transports terrestres, à savoir le chemin de fer et ensuite l’automobile. Les matières et le travail deviennent mobiles. Le téléphone se popularise.

La dépression suivante, celle de 1929-1932, constitue l’écho d’une paix mondiale mal signée. Elle symbolise aussi la transition d’un environnement agricole à une économie industrielle. L’agriculteur quitte les champs pour travailler dans les usines. Le facteur de production travail s’ajuste à l’allocation manufacturière du capital. A la même époque, l’information commence à mieux circuler, grâce à la radio.

L’atonie boursière des années 1974-1981 a, quant à elle, été déclenchée par les dérives de la guerre du Vietnam, l’abandon du système monétaire de l’étalon-or et des deux chocs pétroliers (1973 et 1979). Mais cette décennie révèle également la transition d’une économie industrielle à une société tertiaire, c’est-à-dire fondée sur les services. Ne parlait-on pas naïvement à l’époque de la société des loisirs ? Cette économie du secteur tertiaire est synchronisée avec une mobilité croissante du capital et surtout de l’information, grâce aux progrès de l’informatique et de la télévision.

Le krach de l’année 2008-11 est, quant à lui, le signe annonciateur de la véritable mondialisation. C’est la mutation d’une économie de services vers les réseaux de la connaissance digitale. Dans cet environnement, l’invention et le progrès sont fluides géographiquement. A l’intuition, le krach de 2008-10 est d’ailleurs la réplique sismique de l’éclatement de la bulle internet, en 2000. A l’époque, nous aurions dû prendre la mesure de la révolution de l’information et du commerce. Les autorités monétaires américaines ont cru devoir la camoufler.

Dans les secteurs primaires et industriels, les hommes sont désormais mobiles. Par contre, dans le secteur tertiaire, qui emploie la majorité des populations occidentales, la société de la connaissance, fondée sur Internet, est un relais à la mobilité réduite des hommes. La fluidité de l’information est un substitut à leur déplacement géographique : plutôt que de se déplacer pour effectuer un travail, l’homme peut ramener l’information auprès de lui.

Le krach de 2008-11 annonce l’immersion dans un univers plus volatil, car informé de manière instantanée. C’est un apprentissage des arcanes de l’économie de marché. Les prochaines phases de contraction et d’expansion conjoncturelles seront plus saccadées et volatiles. La réponse des pouvoirs publics doit être à la mesure du message de la crise : il s’agit de développer l’enseignement afin de permettre aux citoyens d’augmenter leur mobilité professionnelle dans un monde de circulation instantanée des connaissances.

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