Tuesday, August 30, 2011

La facture des Trente Glorieuses

François De Smet
sur La Première
30/08/2011

L'estivale crise de la dette confirme ce qu'on savait déjà : que le formateur réussisse ou non sa thérapie de groupe communautaire, cette rentrée sera placée sous le signe de l'austérité. Bien sûr, on ne pourra sans doute pas employer le mot, on tournera autour, parce qu'on réalise qu'en économie, aujourd'hui, c'est la parole qui crée. Un peu comme le Verbe qui, dans la Genèse, créa la terre et les cieux par sa seule parole.

C'est un vaste jeu de psychologie de confiance, fait de prophéties auto-réalisatrices. Par exemple, si je suis une agence de notation et que je dégrade la note d'un pays, je ruine la confiance qui l'entoure, je contribue à créer la situation que je décris et bâtis ma légitimité sur le constat que j'autoproduis. Les dominos font le reste par contagion des esprits. Dans cet univers où tout le monde peut se déverser dans la communication mondialisée, c'est l'identité de celui qui parle qui prend de la valeur, davantage que ce qui est dit.

Pourquoi la parole a-t-elle pris ainsi le dessus sur la raison ? Parce que notre économie est devenue une machine à voyager dans le temps, qui se nourrit de plus en plus de paris sur l'avenir, de spéculation, d'emprunt et de moins en moins de recettes et dépenses réelles. Nous sommes dans un décalage temporel permanent. Nous nous offrons notre niveau de vie en empruntant aux générations suivantes, et nous le faisons depuis si longtemps que nous pensions que la facture n'arriverait jamais. Nous nous imaginions que la tension entre ce que nous créons et ce que nous dépensons, gage de nos acquis sociaux, pouvait éternellement se diluer dans les circuits des emprunts, dettes à long terme, produits financiers dont la complexité était, hier, gage de consistance et qui aura été la première pierre de la perte d'un système qui s'est trop construit sur la crédibilité et pas assez sur la consistance.

Ce que nous vivons donne envie d'aller voir non pas, dix, quinze, mais 30 ou 40 ans en arrière. D'aller demander des comptes à ceux qui ont décidé, dans les années 70 et 80, qu'on pouvait continuer à vivre comme dans les années 50. Qui sont ces dirigeants, lorsque les Trente Glorieuses s'effilochaient, qui ont décidé que les générations suivantes paieraient pour celles d'alors ? Qui a décidé qu'il était normal d'être en déficit presque permanent, au point que, lorsqu'on parle aujourd'hui de « Règle d'Or » pour interdire à terme les déficits des États, la contestation menace, alimentée par une peur légitime de perte des acquis ? Qui nous a placés dans cette situation absurde de la jouissance d'un confort relatif, certes, mais hélas sans mesure avec ce que nous créons, et qui nous confronte à un rééquilibrage exigeant au minimum un ralentissement de notre mode de vie ?

L'austérité sera nécessaire, donc, mais restera vaine si, lorsque la croissance économique sera de retour, nous continuons à emprunter comme si nous ne devions jamais rembourser. C'est un peu le cas, d'ailleurs ; la démocratie est ainsi faite qu'un gouvernement qui s'endette aujourd'hui sait pertinemment que ce seront ses successeurs qui devront rembourser, continuité de l’État oblige. Pourquoi risquer sa peau électoralement alors qu'il est si simple d’offrir l’État-providence sur le dos des suivants ? L'ajustement devait bien arriver un jour, lorsqu'un des élèves faillit à payer sa dette et que la confiance générale s'effondre. Pas de chance : c'est pour notre pomme, et ça arrive bien plus tôt que ce que les dirigeants actuels auraient pu souhaiter – effet secondaire « vertueux » et inattendu d'une mutualisation de la monnaie hier, forçant à mutualiser la dette aujourd'hui et, sans doute, mutualiser les finances demain.

Outre l'austérité, fut-elle adoucie par la taxation des plus riches et des capitaux, la sortie passera par un nécessaire assainissement des pratiques spéculatives, par un retour sur terre, à l'économie réelle, moins axée sur la dette et sur la création de bulles, par un recentrage des banques sur leur métiers de base – fournir des fonds aux particuliers et entreprises pour créer de la richesse. Mais cela ne suffira pas. Car il est un peu facile de diaboliser les méchants marchés ; les marchés, ce n’est qu'un conglomérat d'intérêts institutionnels et particuliers qui acceptent de prêter contre un intérêt. Or personne ne vous oblige à emprunter. Personne ne vous oblige à vivre continuellement au-dessus de vos moyens, c'est-à-dire au détriment de ceux qui vous suivront. S'endetter, voter des budgets en déficit, se mettre à la merci d’autrui, c'est un choix politique dont nous avons la maîtrise, malgré ce qu'on essaie de nous faire croire. Hélas. Dans notre pays de cocagne, où, piliers et communautés oblige, on donne depuis toujours un peu à tout le monde pour gagner la paix sociale et institutionnelle, les efforts sont encore plus durs à faire.

Et pourtant il y a urgence. Aujourd'hui, les générations actuelles pensent que celles qui les suivront vivront moins bien. Aujourd'hui, les trentenaires savent déjà qu'ils devront travailler jusque 70 ans pour que nombre de leurs parents aient pu s'arrêter à 60, ou même avant. La facture arrive. Elle fera mal. Mais nous ne trouverons pas le courage de la régler si nous ne pensons qu'à nous, et non à ces milliers d'enfants qui, un jour, nous reprocheront eux aussi d'avoir hypothéqué un peu de leur avenir.

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