Wednesday, October 5, 2011

Avant que le lâcher prise ne devienne meurtrier

Nouvel Observateur, 04/10/2011
Par Philippe Costes, un citoyen tout simplement

Notre société est de plus en plus confrontée au douloureux sujet du suicide, qui touche des salariés d’entreprises du privé mais qui n’épargne pas non plus le secteur public, ce syndrome meurtrier du "lâcher prise" d’hommes et de femmes qui ne trouvent d’autre solution que de quitter ce monde…

Comment expliquer un geste qui laisse des familles entières dans la douleur, la culpabilité de n’avoir pu entrevoir la détresse de celui ou celle qui a franchi le pas et passé de l’autre côté du voile ?
Chacun de nous, ici bas, percevons le changement d’un monde dont on ne sait où il nous entraîne, chacun de nous ressentons à un moment donné un malaise, un mal être, une cassure, certains s’en relèvent, d’autres pas.
Le monde devient une véritable jungle où chacun doit se frayer un chemin dans l’espoir d’éviter les pièges tendus par la vie mais aussi par ses semblables.

Nous ne sommes pas dotés des mêmes armes pour affronter cette forme de guerre contre les événements qui viennent entacher notre vie au quotidien, nous vivons avec l’anxiété d’une société qui perd les valeurs de l’humain au profit d’autres valeurs volatiles. Une société individualiste où la solidarité trop souvent s’affiche derrière les écrans plats, chacun doit trouver la solution à ses problèmes, se confier, c’est avouer sa faiblesse et notre société ne conçoit la faiblesse.

La société est ainsi faite qu’aujourd’hui, plus qu’hier, les faibles, les traumatisés de la vie doivent avancer, ne pas se retourner, faire en sorte que l’autre ne se doute de la plaie béante qui est la sienne, non la société actuelle ne peut supporter la souffrance des autres de peur qu’elle ne rejaillisse sur elle.

Mais le renoncement, le mal être, le passage à l’acte ne touche plus uniquement les adultes mais s’attaque aussi aux enfants, à nos enfants.
Bon nombre de spécialistes essaient de trouver les raisons d’une telle situation qui ne fait qu’empirer, d’où peut venir cette envie d’en finir alors que la vie ne fait que commencer pour ces enfants ? La faute à qui ? La société ? La violence au quotidien ? La peur de l’avenir ? Et tant d’autres phénomènes qui peuvent tenter d’expliquer l’inexplicable.
Regardons les choses en face, ne portons-nous pas tous autant que nous sommes une responsabilité dans ces départs précoces ? Par nos comportements, nos attitudes, nos actions ou inactions pour que ces jeunes ressentent un si profond malaise.

Le nouveau siècle a permis l’évolution des mentalités notamment dans l’épanouissement du couple, chacun participant à la gestion quotidienne pour une vie meilleure en s’engageant souvent dans une activité professionnelle ne laissant que peu de place à la famille.
Il faut donc trouver le moyen en notre absence d’occuper notre progéniture, et il est vrai que notre époque moderne met à leur disposition tout un arsenal d’occupation.

Dès leur plus jeune âge ils sont plongés dans un monde virtuel, placés devant un écran munis de manettes ils se construisent un environnement différent dont ils connaissent parfaitement les règles du jeu, ils s'enferment sans retenue dans une autre dimension, ils sont ailleurs et absents plutôt que d'être ici et totalement présents.
Et lorsqu'ils prennent conscience plus tard que la réalité est toute autre, qu'ils ne sont plus maîtres de ce monde qu'ils pensaient connaître alors ils tombent de haut et refusent ce qui ne peut-être à leurs yeux qu’une contrefaçon.

La société, hier attachée aux valeurs de la famille et du respect, a évolué vers une société "du tous pour moi, chacun pour soi", alors comment s'étonner encore de tant de tragédies, de tant de dénis, nous devons changer de cap, mais le problème est de savoir si nous en sommes capables ?
Capable notamment de resserrer les liens, de respecter les engagements que nous prenons lorsque nous décidons de donner vie à un enfant, à son enfant, celui dont nous avons la charge et qui ne demandait rien, lui tracer un chemin en lui tenant la main.

L'accompagner, le protéger, le respecter, l'aimer et ne pas le lâcher seul dans un milieu pour lequel il n'est pas encore prêt, laissons l’enfant franchir pas à pas les étapes de son évolution, de sa construction, ne lui demandons pas de devenir adulte avant l’heure et d’assumer dans bien des cas nos fautes, nos erreurs.
Combien de couples séparés, de couples déchirés, de familles recomposées qui laissent dans le fossé des enfants attachés au lien du sang et qui ne comprennent pas l'éloignement de leurs parents.
Dans le meilleur des cas, la rupture se fera à l'amiable, sans heurts, en gardant un contact pour le bien de l'enfant afin qu'il se sente aimé par ses deux parents.

Dans d'autres cas, la séparation est plus brutale, aucune partie ne fait de concession, et pour l'enfant c'est un déchirement de voir ceux qui hier s'aimaient tant aujourd'hui se haïr autant.
Une partie d'entre eux réagiront spontanément contre ce qu'ils perçoivent comme une trahison, un abandon, jusqu'à se sentir responsable de cette situation.

Il y a aussi ces enfants fragiles, sensibles, qui n’en peuvent plus de se faire agresser dans des lieux où le respect devrait être la règle ; l’école... se faire traiter de roux, de laid, de pauvre et de bien d’autres mots encore, pour certains enfants la coupe est pleine. Combien de conflits dégénèrent dans ces lieux de vie ?
Pour conclure sur ce douloureux sujet qui n’est qu’une analyse personnelle car je ne détiens pas la vérité, loin de là, j’essaie seulement de comprendre comment nous en sommes arrivés là, et faire en sorte de réfléchir profondément pour trouver une issue, une solution pour nos enfants… Peut-être faudrait-il considérer tous les enfants comme nos propres enfants et leur adresser le plus d’amour possible, dans leur foyer et à l’extérieur, et plus largement, nous les adultes, faire en sorte de leur donner une tout autre image de notre société en changeant de comportement.

La vie peut-être belle, si nous décidons tous de la rendre belle, mais le voulons-nous ? Sinon pour nous, essayons au moins pour nos enfants.
Rien n’est plus douloureux qu’une photo jaunie par le temps, et qui repose sur un buffet, en mémoire d’un enfant qui n’a pu aller au bout de son chemin.

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